Actu Mac, ciné, musique, radio, théâtre, littérature…
Icône RSS Icône Email Icône Accueil
  • Série thérapie

    Posté le 25 mars 2009 Pierro Pas de commentaires

    Pour tout décor, un divan de psy ; pour toute action, les confessions des patients… Avec « In treatment », série ultraminimaliste adaptée d’un feuilleton culte en Israël, la chaîne HBO ose bouleverser les codes des intrigues à l’américaine, et c’est passionnant. Et l’audience ? Ben, c’est pas encore ça, mais au moins, ça coûte pas cher à produire.

    In treatment

    In treatment

    A Hollywood, la série la plus excitante du moment n’a rien d’un block­buster. A mille lieues de Rome et de ses somptueux décors, de Dexter et de son suspense haletant, In treatment (traduisez : « En analyse ») pose ses caméras dans le cabinet d’un psy, pour y suivre les consultations de gens ordinaires. Lancée en janvier 2008 sur la chaîne américaine HBO, la série se mérite. Episode après épisode (au nombre de 43, diffusés quotidiennement), Paul Weston (Gabriel Byrne) reçoit inlassablement ses patients dans sa confortable maison du Maryland. Le lundi, c’est Laura (Melissa George), trentenaire en thérapie depuis un an, qui se demande si elle n’est pas tombée amoureuse du psy. Le mardi, Alex (Blair Under­wood), arrogant pilote de l’US Air Force, vient consulter après une difficile mission en Irak. Le mercredi, c’est Sophie (Mia Wasikowska), ado promise à une brillante carrière de gymnaste mais peut-être suicidaire, qui se confie. Le jeudi, Jake et Amy (Josh Charles et Embeth Davidtz) qui prennent le relais, pour parler de leur naufrage conjugal. Le vendredi, enfin, Paul lui-même consulte son ancien mentor (Dianne Wiest) pour conjurer les prémices d’une belle crise de la cinquantaine.

    Chaque épisode de trente minutes observe le même rituel. Paul accueille ses patients, écoute, opine du chef, pose quelques questions, ne note rien ; puis il les raccompagne vers la porte de sortie – celle qui donne sur un petit jardin. A l’opposé des intrigues dopées aux cliffhangers (pics de suspense injectés généralement juste avant la pub), le rythme ici est lent, la caméra se déplace peu, l’environnement sonore est rare (quelques pas à l’étage, le gazouillis des oiseaux). « Les scènes d’action, chez nous, c’est quand Paul se lève et se sert un verre d’eau ! » plaisante le producteur Warren Leight. Radical, le huis clos demande une attention infaillible. Assommant ? Au contraire : passionnant.

    In treatment a beau enfreindre toutes les règles de la parfaite série amé­ricaine, sa trame se révèle progressivement être une captivante enquête : pourquoi Alex nous parle-t-il tant de son meilleur ami Daniel ? Sophie nous dit-elle tout sur ses rapports avec son entraîneur ? Jake est-il le crétin qu’il laisse paraître ? L’intrigue repose entièrement sur les mots… et les silences. Peu à peu, le téléspectateur apprend à les décrypter, démêlant les demi-vérités des vrais mensonges, les non-dits des aveuglements. Surtout, il est happé par l’analyse : ne sont-ce pas là nos propres doutes, nos propres failles qui prennent corps ? Tout en finesse, l’écriture déjoue les attentes et met les âmes à nu, disséquant la psychologie des personnages, laissant aux acteurs un espace de jeu incroyable. « Une caméra, deux comédiens : toute l’attention est concentrée sur vous, explique l’acteur Blair Underwood, déjà vu dans les légères Sex and the city et Dirty Sexy Money. Ça m’a permis de prouver que je pouvais jouer autre chose que le beau gosse de service. » L’interprétation de Gabriel Byrne (Usual Suspects) force l’admiration. De bout en bout, le comédien tient son personnage de psy à la fois sûr de son talent mais déprimé quand un patient lui échappe. Aux Etats-Unis, son jeu lui a valu le Golden Globe du meilleur acteur. Et la critique salue aujourd’hui la performance de toute la distribution.

    L’an dernier, la programmation d’In treatment sur l’antenne de HBO relevait cependant du pari. Depuis le départ à la retraite des Soprano en 2007, l’ex-reine des séries traversait une passe difficile : ses audiences s’effondraient et ses concurrentes (Showtime, FX, AMC) gagnaient toujours plus de terrain. Alors, que faire ? Se relancer dans une superproduction, type Rome et ses 100 millions de dollars de budget ? Non, tranche Carolyn Strauss, sa présidente de l’époque. Il faut « revenir à des projets forts, quand la chaîne se distinguait réellement des autres ».

    Ça tombe bien : depuis 2005, une série atypique rencontre un énorme succès en Israël. Son nom : BeTipul, c’est-à-dire… « En thérapie ». Ça vous rappelle quelque chose ? Le feuilleton est un phénomène de société. Le journal Haaretz le qualifie de « plus éclatante réussite que la télé israélienne ait jamais produite ». Il rafle toutes les récompenses. Et s’invite même dans des cursus de psychologie à l’université. « Pourtant, au départ, personne n’en voulait », se rappelle son créateur, Hagai Levi. Son profil de scénariste formé à la telenovela – un genre populaire en Israël mais pas franchement synonyme de qualité – n’inspire pas confiance. Son projet de « raconter la vraie vie d’un thérapeute », non plus. « En dehors de Tel-Aviv, où il est plus facile d’en parler, suivre une thérapie était encore récemment considéré comme honteux », explique Hagai Levi. Seule une chaîne du réseau câblé, Hot, connue pour ses nombreuses séries américaines, se montre intéressée. « Je leur ai dit : « Je sais que c’est une série intello. Mais avec le nombre limité de décors et d’acteurs, c’est aussi une production très peu chère ! » » L’argument fait tilt, et Hagai Levi se lance. Il réunit une brillante équipe de scénaristes, recrutés pour leur talent, bien sûr, mais aussi parce qu’ils ont tous déjà suivi une thérapie et peuvent mieux en comprendre les ressorts. La romancière Yaël Hedaya (Trois Histoires d’amour, éd. Actes Sud) et le scénariste Ari Folman (qui, depuis, s’est illustré avec son film Valse avec Bachir) en font partie. Chacun choisit un personnage, n’écrit que pour lui. Un véritable thérapeute relit les scripts, corrige les invraisemblances. En tout, l’écriture à la fois collective et individuelle dure un an et demi. « Il nous fallait un acteur très connu pour contrebalancer l’aridité de la série », continue Hagai Levi. Pour interpréter le psy, le choix s’arrête donc sur Assi Dayan (La Vie selon Agfa), fils de Moshe Dayan et icône du cinéma israélien.

    A son lancement en 2005, BeTipul fait un carton d’audience. Les téléchargements légaux en VOD approchent le million (pour un pays de sept millions d’habitants), et une grande chaîne nationale finit par rediffuser la série. « J’étais le premier surpris, confesse le scénariste. Je ne croyais pas qu’autant de gens seraient assez patients pour suivre tous les épisodes. Mais, en y réfléchissant, j’ai compris : cette série parle à l’âme israélienne. Il y est question de thérapie, donc de limites à franchir ou à ne pas dépasser, de frontières mentales et géographiques. Quoi de plus proche de notre histoire ? »

    Retour à Hollywood. Noa Tishby, une actrice israélienne installée à Los Angeles, entend parler du phénomène. Elle visionne des épisodes, est emballée. « Pour une fois que l’on évoque Israël pour autre chose que la guerre. » Avec l’aide de l’acteur et producteur Mark Wahlberg, elle se tourne vers la seule chaîne capable de prendre le risque de programmer cet ovni : HBO. Jamais une série israélienne n’a été vendue outre-Atlantique ; pourtant, les dirigeants de HBO achètent les droits. Et s’entourent d’une solide équipe, menée par le créateur israélien Hagai Levi et par Rodrigo García, un réalisateur maison (c’est aussi le fils du romancier Gabriel García Márquez). In treatment est née.

    Son succès critique a encouragé d’autres pays à entrer en analyse. La Russie, le Portugal, l’Italie, la Serbie préparent aujourd’hui leur propre version. Après avoir diffusé la version américaine sur Orange Cinémax (1), la France se lance dans l’adaptation. Pas de chaîne définitive pour l’instant, mais le producteur Edouard Douek (Frozen Days) réunit son casting. Pour quel succès ? Aux Etats-Unis, la série a réalisé de faibles audiences (seulement 276 000 téléspectateurs en moyenne). Résultat : HBO a certes commandé une deuxième saison (qui débute le mois prochain), mais en en modifiant la structure (moins d’épisodes, pour une diffusion bihebdomadaire) et, surtout, en demandant aux scénaristes d’« américaniser » les nouvelles intrigues. Comprendre que le monde extérieur – comme la récession actuelle – va faire irruption dans le cabinet de Paul, au détriment de l’austérité originelle du dispositif. « La première saison était une traduction fidèle, confirme le producteur Warren Leight. La deuxième sera cuisinée à la sauce américaine. » Avec un risque, peut-être : en perdre l’exceptionnelle saveur…

    Le divan à la télévision

    Osée, oui ; pionnière, non ! La série In treatment a beau explorer la psychanalyse comme personne, ce n’est pas la première à s’allonger sur le divan. Déjà, en 1991, Billy Crystal avait choisi de consulter : sa minisérie Sessions, diffusée en France sur Jimmy, envoyait un avocat déprimé suivre une thérapie avec un drôle de psy (Elliott Gould). Saynètes délirantes, flash-back émouvants… Malgré le huis clos du cabinet, le ton restait léger. Même ambiance tragi-comique dans la déjantée Huff, en 2004 (FOXlife), où le Dr Huffstodt (Hank Azaria) voit son image de psy parfait se fissurer lorsqu’un patient se suicide dans son cabinet. Pour trouver une série qui prenne enfin la chose au sérieux, il faut se pencher sur les magnifiques Soprano (Jimmy). Entre règlements de comptes et embrouilles familiales, la psy est le déclencheur de l’intrigue : tout commence lorsque le parrain Tony ose pousser la porte du cabinet du Dr Melfi pour parler de ses crises de panique… Dans Tell me you love me (TPS Star), les consultations, au coeur du récit, tournent autour de trois couples en difficulté. Rapport à soi, rapport à l’autre : l’âpre exploration du sentiment amoureux est dite (dans le cabinet) et montrée (à l’extérieur). Ce dispositif n’a pas convaincu. Une petite saison, puis la série s’en est allée. Dur, dur, de captiver les foules avec des confidences sur le divan.

    Lucas Armati

    Télérama n°3088

    (1) Une rediffusion est prévue cet été. La saison 2 suivra à la rentrée.

    Pierro

    Les commentaires sont fermés.