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Tarantino le retour !
Posté le 19 août 2009 Pas de commentairesUn film de Tarantino, un de plus, à voir sans hésiter ?
Quelques infos avant :
Inglourious Basterds,
film américain de Quentin TarantinoLe changement dans la continuité… L’expression sied assez bien au parcours de Quentin Tarantino. C’est quelqu’un dont chaque film est un rendez-vous très attendu, depuis Reservoir Dogs (1992), et qui crée à chaque fois la surprise, non seulement en injectant quelque chose de neuf, de jamais vu, dans les genres qu’il aborde, mais en brouillant son image. Tarantino est un cas rare de cinéaste star qui ne capitalise pas. Deux exemples : après le triomphe de Pulp Fiction, il prend son public de court avec Jackie Brown, nettement moins spectaculaire, mais très personnel, emmené par des seconds couteaux vieillissants. Aujourd’hui, dans la foulée de Boulevard de la mort, festival au féminin de la bagnole et de la tchatche, qui le consacre comme un véritable musicien du dialogue argotique, il choisit un niveau de langue autrement plus soutenu. Qui n’aurait pas déplu à Goethe et Guitry réunis.
En général, dans les films de guerre américains, on parle l’anglo-américain et that’s all right : s’il arrive que les nazis parlent l’allemand, celui-ci est caricatural. Inglourious Basterds, lui, se fait un principe d’honorer non pas une langue, mais trois – l’anglais, l’allemand, le français -, avec un bonus – irrésistible ! – en italien. Honorer, c’est-à-dire en valoriser les nuances phonétiques et les accents. On en a vite une idée avec le colonel Hans Landa (Christoph Waltz), monstre de suavité, l’homme qu’on aime haïr. Un chasseur de juifs méthodique et polyglotte, qui débarque dans une ferme française, au moment de l’Occupation, avec la conviction qu’une famille juive y est cachée. Le nazi s’entretient longuement avec le fermier en parlant d’abord un français impeccable. Puis décide, avec l’accord de son hôte, de passer à l’anglais ! Petit jeu de la part de Tarantino, pense-t-on. On a tort : c’est un stratagème de plus.
Cet interrogatoire vire de fait à la torture psychologique, raffinée et cocasse, les circonvolutions et les digressions servant d’instruments cuisants. De l’action, des fusillades, le film en comporte, mais on s’y bat surtout avec des mots. La plupart des séquences sont des joutes d’esprit, à deux ou à plusieurs, autour d’une table, avec un bon verre de lait, de vin, de schnaps, de bière ou de whisky. On énumère, car le film est très gourmet, et ce jusqu’à la satiété. Un moment, le colonel Landa croise à Paris Shosanna (Mélanie Laurent), la seule rescapée du massacre de la ferme, qui a entre-temps changé d’identité. Le nazi l’invite à déguster un strudel avec de la crème. La caméra de Tarantino réalise alors des merveilles : jamais une pâtisserie n’a été à ce point appétissante et vomitive à la fois.
Mettre fin à l’abjection du IIIe Reich par n’importe quel moyen, tel est donc l’enjeu. Les méthodes diffèrent. La plus brutale est à coup sûr celle des fameux « Bâtards ». Un groupe redoutable de soldats juifs américains menés par Brad Pitt : des mercenaires qui scalpent les nazis et leur tatouent sur le front, au couteau, une croix gammée. Primitif, sanguinaire, mais très efficace. Plus civilisée, la méthode du lieutenant britannique (Michael Fassbender), agent secret et ancien critique de cinéma (!), avec lequel on fait connaissance dans le gigantesque bureau de Churchill. Enfin, il y a la carte de la séduction : classieuse avec une actrice allemande aristocrate (Diane Kruger), qui espionne pour le compte des Alliés ; parisienne avec Shosanna, maintenant à la tête d’un cinéma.
Tous ces personnages forment une parade où Tarantino exploite les archétypes des nationalités et les réinvente à sa sauce. Brad Pitt mâchonne, grommelle ; son puissant accent du Tennessee singe celui de Marlon Brando ou de Clark Gable. Dans un allemand impeccable, Diane Kruger se surpasse, plagiant Brigitte Helm ou Marlene Dietrich, notamment dans la séquence centrale de la taverne, où elle joue avec de vrais et de faux soldats allemands aux devinettes, une carte collée sur le front. Le plaisir et le frisson du jeu, le travestissement, les références culturelles…, c’est un concentré magistral de Tarantino.
Si l’on ne se comprend pas, reste encore une langue commune : le cinéma. Pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire, dès qu’il s’agit de propagande. Le cinéma, tout part de là : le début du film est un clin d’oeil au western italien. Et le dernier chapitre se déroule dans une salle où sont réunis Hitler, Goebbels, Bormann…
Changer le cours de l’Histoire, la fiction le peut. C’est ce pouvoir formidable que Tarantino célèbre, en utilisant la matière même du cinéma – la pellicule nitrate, extrêmement inflammable – comme arme réelle de combat contre le nazisme. Antinazi mais germanophile, voilà l’ultime atout d’Inglourious Basterds, qui cite Pabst, a été tourné à Berlin, comprend pas mal de vedettes d’outre-Rhin (Daniel Brühl, Til Schweiger) et en révèle une : Christoph Waltz, très savoureux en génie du mal, justement récompensé à Cannes. Chapeau, Quentin. Beau geste, schöner film, happy end.
Jacques Morice – Télérama.fr
Une petite bande-annonce :
Des liens pour en faire plus :
A très vite,
Pierro
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