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Still Walking
Posté le 24 avril 2009 Pas de commentairesAujourd’hui, retrouvez la critique de Still Walking, film japonais de Kore-Eda Hirokazu
Une journée d’été à Yokohama. Une famille se retrouve pour commémorer la mort tragique du frère aîné, décédé quinze ans plus tôt en tentant de sauver un enfant de la noyade. Rien n’a bougé dans la spacieuse maison des parents, réconfortante comme le festin préparé par la mère pour ses enfants et ses petits-enfants. Mais pourtant, au fil des ans, chacun a imperceptiblement changé… Avec un soupçon d’humour, de chagrin et de mélancolie, Kore-Eda nous donne à voir une famille comme toutes les autres, unie par l’amour, les ressentiments et les secrets.
CRITIQUE
Se réunir en famille tous les ans pour commémorer la mort d’un fils, inviter ce jour-là le responsable – bien involontaire – de cette mort : voilà le nouveau supplice non pas chinois mais japonais que Hirokazu Kore-Eda a conçu, après l’abandon à eux-mêmes des enfants de Nobody knows.
Le cher disparu s’est noyé quinze ans plus tôt, en sauvant un garçonnet près d’une plage de Yokohama. Le garçonnet est devenu un jeune homme. Sa visite à la famille de son sauveur n’occupe que quelques minutes du film, mais c’est un sommet de cruauté, un vrai happening tragi-comique. Les parents du défunt lui font comprendre qu’il ne mérite pas de vivre. Horriblement mal dans sa peau, il se recueille sous les yeux de tous devant l’autel érigé à la mémoire du fils. Les mômes rient de sa surcharge pondérale, de sa chemise trempée, de ses chaussettes souillées. On l’invite chaleureusement à revenir l’année suivante… Pourquoi tant de haine ? « Parce que c’est encore plus pénible quand on a personne à haïr », dira la mère…
Mais le supplice de l’invité est, au fond, partagé par tous, survivants émouvants qui marchent encore (« still walking »), dans les ruines d’un bonheur familial lointain, d’un âge d’or sans doute fantasmé – la mère en ressasse à la cuisine toutes les petites légendes dérisoires. Les retrouvailles (avec les frère et soeur du noyé, leurs conjoints et leurs enfants) ressemblent à une tentative désespérée de partager un moment présent et joyeux, dans un lieu qui n’évoque que le passé et la perte. Le cabinet médical du père, retraité, ne sert plus que de tanière au vieil homme, passablement aigri et cassant – le défunt devait reprendre son activité. Le fils cadet, quadragénaire au chômage (mais le cachant), découvre une barre à laquelle s’agripper dans la baignoire : signe accablant de l’affaiblissement de ses parents. Plus rien n’est comme avant, ni personne.
Entre la pénombre de la maison traditionnelle et le jardin écrasé de chaleur, entre le cimetière et le bord de mer, se dévide la litanie universelle des vieilles petites histoires, des ressentiments, des mensonges, des hontes jamais guéries. C’est pourtant un film tendre que réussit Kore-Eda. Evoquant plus d’une fois Ozu. Empreint d’une telle maturité que, derrière toute acrimonie, se laisse deviner une illusion perdue, un chagrin inconsolé. Il n’y a pas de façon heureuse de reconstituer une ligue dissoute, a fortiori après une tragédie. Mais il y de la vie qui résiste tant bien que mal, une transmission qui s’opère bon gré mal gré entre les générations, une répétition de mots et de gestes qui semblent autant d’hommages inconscients aux anciens. Ecrit par l’auteur après la mort de sa mère, voilà une déclaration d’amour paradoxale à la famille… Qui arrive trop tard, évidemment. Sauf pour nous.
Louis Guichard
Retrouvez la bande-annonce :
Pierro
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